Un certain retour…

L’idée me turlupinait de reprendre mes deux dernières chroniques en me demandant ce que Henri aurait pensé aujourd’hui avec sa bonhomie naturelle ; en me souvenant aussi de certaines de ses opinions avec, par exemple, sa critique de celui qui s’agite en courant après la dernière mode ou la dernière technique : « on dirait un chien fou » ou de son incompréhension de la biodynamie, lui qui disait pourtant vouloir laisser faire la nature. Ce ne sont là que deux exemples et l’on pourrait ajouter aussi sa défense farouche de l’égrappage total, enlever la grappe qui n’apporte rien de bon pour privilégier le fruit.

Sans doute ne sert-il à rien de chercher de sages conseils si c’est pour s’agiter dans tous les sens ensuite. De même n’est-il pas très prudent de refuser certains traitements, si le raisin s’en trouve trop affaibli, ou, parfois, bombardé de substances autorisées mais qui en dénaturent son goût. Il y aurait à réfléchir sur les excès et, pourquoi ne pas le dire, sur un certain dogmatisme qui nous guette toujours.

Je risque sans doute de tomber dedans à ma manière en défendant les vins de Bourgogne et une certaine façon de les faire, mais quelques expériences récentes m’invitent à penser que, dans le domaine des grandes bouteilles, le vin peut atteindre des prix sans commune mesure avec la réalité du plaisir. J’ai ramené les tarifs d’un domaine réputé de Toscane qui se défend de vouloir faire les vins les plus chers du monde et dont les millésimes commencent à être buvables à partir de 20 ans d’âge ! Tout récemment, j’ai organisé une dégustation des vins les plus prestigieux d’Espagne et je dois dire que la finesse et le fruit étaient rarement au rendez-vous, quant à la longueur en bouche, j’ai trouvé beaucoup de finales asséchantes. Je n’ose pas parler de deux dégustations du millésime 1998, l’une en Côte Rôtie et l’autre à Pomerol qui ne témoignaient pas des grandes capacités de vieillissement de ces régions réputées habituellement supérieures à la Bourgogne dans ce domaine. Pour être honnête, je dois aussi parler d’une dégustation exceptionnelle du roi des vins blancs, organisée généreusement par un ami sur 8 millésimes et qui, hormis 4 bouteilles (sur 16) nous a plongés dans la plus grande perplexité vu le prix des bouteilles ! Pour l’honneur de la Bourgogne, je vais quand même citer les 4 meilleurs, car ils nous ont fait vivre un moment exceptionnel qui peut faire oublier les déceptions ; il s’agissait du Montrachet 2000 du Domaine de la Romanée Conti (20/20), la perfection existe bien ! Puis du Montrachet 2001 de Marc Colin (19,5/20) quel bonheur ! Ensuite du Montrachet 1999 du domaine Thénard (18,5/20), un vrai Montrachet ! Et du Montrachet 2003 du domaine J. Prieur (18/20) au delà de la canicule.

La question que je me pose après la dégustation de beaucoup de vins français ou internationaux, aux prix parfois pharaoniques, est de savoir si ceux qui les dégustent en général les reconnaîtraient dans des dégustations à l’aveugle à côté d’autres bouteilles moins illustres mais peut-être plus goûteuses (à mon avis). Par exemple, une verticale de Morey Saint Denis Vieilles Vignes du domaine Hubert Lignier, des millésimes 2002 à 1991 a subjugué l’ensemble des dégustateurs présents quant à l’exceptionnelle qualité des vins, l’extrême plaisir qu’ils nous ont procuré et aussi la grande unité de leur style alliant le terroir et le travail de l’homme.

Et puisque je suis dans le signifiant «Bourgogne», je ne résiste pas au plaisir de vous faire part d’une découverte qui m’a complètement enthousiasmé récemment. J’ai eu l’occasion de me rendre à Buenos Aires le mois dernier et j’ai découvert en lisant une revue dans l’avion, que l’un des plus grands restaurants de la ville, voire d’Amérique Latine (un relais et château), avec un autre restaurant au Paraguay et un aussi à Mendoza, avait pour chef Jean-Paul Bondoux, natif de Luzy. Ses 3 restaurants s’appellent La Bourgogne ! Je ne sais pas pour vous, mais moi j’étais fier de ma région.

Je pense à un certain retour à la sérénité et à l’authenticité, même dans un monde qui bouge.

Martial Jacquey
Passionné de vin
Le 22 avril 2007