Perplexité ?

Perplexité, c’est l’un des mots de ma dernière chronique. Certains évènements récents m’y font repenser aujourd’hui et m’invitent à cette question : « Que sais-je ? » à la manière de Montaigne.

J’employais ce mot la dernière fois à propos de ce qui fait qu’un jury de dégustation retient un vin et pas un autre. C’est toujours une grave question quand on sait que l’on peut mettre en avant tout un travail mais aussi laisser dans l’ombre des sujets méritants ou, encore, défaire de bonnes réputations. Je dois bien avouer que je ne suis pas toujours à l’aise quand je donne une critique négative, même s’il me faut assumer mes choix et mes goûts. Mais je suis encore plus embarrassé quand je déguste à nouveau un vin que j’ai encensé et qui me semble alors bien banal. C’est le cas, en particulier, lors de dégustations de primeurs mais c’est vrai aussi pour des vins en bouteilles dont l’évolution laisse à méditer. En pareilles circonstances délicates, un ami vigneron avait ce mot rassurant (ou inquiétant ?) en disant que, selon le calendrier lunaire, nous devions être un jour racine. Certes, mais il y a des vins qui se dégustent mieux que d’autres les jours racine et il y en a aussi qui se goûtent moins bien les jours fruits. Henri Jayer avait son avis sur la question, pour lui un grand vin se dégustait toujours bien, jeune ou vieux, et il ne parlait pas spécialement du calendrier lunaire.

En matière de réputation, je me demandais récemment pourquoi telle cuvée était particulièrement recherchée et j’ai interrogé son auteur : avait-elle eu d’excellents articles dans la presse internationale, un 100/100 chez RP ? Il m’a répondu qu’il n’avait aucune connaissance de tout cela et son succès ne l’a pas empêché d’en ouvrir plusieurs bouteilles lors d’un salon.

J’ai eu l’occasion dernièrement de faire un repas accompagné de bouteilles aux étiquettes prestigieuses dans l’une des tables les plus réputées de notre hexagone. Le contexte était un peu particulier, dans le cadre d’un club de dégustation qui promotionne les cuvées signées d’un critique du vin. Je trouve à cet homme une personnalité attachante mais il me semble entouré d’un public quelque peu désorienté pour ne pas dire plus.

Je reconnais que certaines de ses cuvées sont à la fois gourmandes et remplies de génie. Je partage aussi, avec lui, l’idée que certaines bouteilles ne sont mises sur la table que par snobisme. Mais ce jour-là, j’ai goûté deux vins d’un vigneron mythique dont notre critique disait qu’il n’y avait pas beaucoup de différence entre les deux. Pour moi, l’un des deux ne m’a pas particulièrement ému tandis que l’autre va me forcer à quelques efforts afin d’y regoûter. Mais, ma perplexité était à son comble quand je devais, en même temps, entendre le discours sur le snobisme des grands noms tout en évaluant le prix du menu que j’étais en train de découvrir. J’ajouterai que j’ai eu la faiblesse de penser qu’il n’était pas à mon goût. Serais-je classique ? Vous savez, le classicisme c’est l’art de la litote…

Je m’en tiendrai plutôt à un euphémisme…

Comment vais-je tourner ma dernière perplexité afin que vous ne pensiez pas que je suis définitivement mal luné ou complètement déprimé ?

Elle va aux terroirs : je disais dernièrement à un vigneron que j’ai déjà cité dans mon dernier billet d’humeur, que l’une de ses cuvées remettait en cause, à mon sens, la question des terroirs, parce que je la trouvais d’une grande délicatesse et d’une subtile élégance par rapport à son appellation. Auprès d’un autre vigneron, d’un style très différent du précédent, mais qui a aussi toute ma sympathie, j’insistais pour qu’il poursuive certaines expériences sur quelques-unes de ses vignes, même si avec un simple Bourgogne, on peut susciter des émotions dignes d’un grand cru ; et tant pis s’il est éphémère !

Martial Jacquey
Passionné de vin