Domaine Albert Grivault

L’âme d’un grand Cru :

Le Meursault Clos des Perrières monopole de domaine Albert Grivault

Voilà bien un vin qui m’a invité à quelques réflexions sur l’existence et avec lequel j’ai fait une sorte de traversée du miroir pour atteindre l’inaperçu. On parle bien de l’inouï mais il est difficile de nommer ce qui n’a jamais été senti ou d’évoquer l’inaperçu si cher à Max Milner. Son souvenir et celui de sa femme Christiane m’ont assurément habité tout au long de cette écriture où se noue ce qui me lie au vin et à la psychanalyse.

Il m’arrive de dire que j’ai deux métiers ; dans l’un, celui de psychologue, j’essaie d’enlever du malheur aux gens et dans l’autre, celui d’organisateur de dégustations ou de marchand de vins, j’essaie de leur apporter du bonheur. La psychanalyse avec la prise en compte de l’inconscient a toujours été une référence pour moi et elle a pu m’apprendre que la vie n’est pas toujours simple mais que ce n’est pas une raison pour la compliquer. Les psychanalystes ne sont pas toujours simples non plus et il m’arrive parfois de penser que certains ont une position ambiguë sur ces questions du malheur et du bonheur, en particulier. Il m’arrive même de craindre que certains n’affichent quelque complaisance avec les malheurs de ce monde. J’aimerais tenter d’opérer un petit reversement à partir de quelques formules de Freud et de Lacan. Que le lecteur qui ne comprend pas que l’inconscient puisse venir se loger au fond de la bouteille me pardonne. Je reconnais qu’il n’y est pour rien !

« Là où c’était, je dois advenir », voilà une formule de Freud qui m’a fasciné pendant des années et qui d’ailleurs me fascine encore ; une de ces formules magiques de la psychanalyse et je pense à bien d’autres ; comme j’entends la voix de Lacan dans son séminaire intitulé « les non dupes errent» qu’il faut entendre avec ses jeux de mots comme avec ses jeux de miroirs.

J’ai pensé à tout ça dans la maison de Michel Bardet dont je ne savais pas, il y a quelques années, qu’il habitait tout près de chez moi, à Dijon, une maison fort agréable avec son cellier du XIIe siècle qui peut se montrer fort accueillant. Michel Bardet m’avait confié qu’il souhaitait « faire vivre » ce cellier un peu abandonné et il m’a invité à y organiser une dégustation. « On reçoit de l’autre son propre message sous une forme inversée » disait Lacan et ce fut peut-être le cas lorsque j’ai répondu que la première dégustation que je pouvais organiser en ce lieu était une verticale de Meursault 1er Cru Clos des Perrières, monopole du domaine Albert Grivault, son grand père maternel.

Les 20 millésimes que nous avons dégustés sur 50 ans, de 2006 à 1956 donnaient l’impression de l’infini au Palais des Glaces. Je pense encore à d’autres formules sonnantes de Lacan, formules à vous faire trébucher, comme celle-ci, à la fin de son texte sur le stade du miroir, écrit en 1936 : « Pour une telle œuvre, le sentiment altruiste est sans promesse pour nous, qui perçons à jour, l’agressivité qui sous-tend l’action du philanthrope, de l’idéaliste, du pédagogue, voire du réformateur. »

Certes, nous étions en 1936 et je n’ai pas eu l’occasion de goûter récemment ce millésime mais quand même, on peut se demander aujourd’hui ce qui sous-tend l’œuvre de Lacan et les positions de beaucoup de psychanalystes lacaniens. C’est peut-être le bon vin qui nous empêchera de désespérer de l’humanité et j’admettrai volontiers l’idée que l’humilité n’est pas le masochisme !

Revenons à Meursault… Après en avoir rêvé pendant des années, c’est seulement en 2004 que j’ai mis la main sur ma première bouteille de Meursault Clos des Perrières avec le millésime 2001. C’était un jour de chance, chez un caviste bien fourni, quand on sait que l’essentiel de la production part à l’export. La dégustation était bien à la hauteur du rêve, un vin magique, à la fois typiquement bourguignon et qui ne ressemblait à aucun autre, très discret, délicat, retenu mais quelle pureté, quelle noblesse et quelle présence ! La bouche se remplit tout doucement, sans explosion mais ça dure, avec une fine pellicule de gras qui tapisse le palais et des arômes minéraux bien polis auxquels se mêlent des notes d’amandes et de brioche. La grande classe et le plus grand plaisir ! Depuis, j’ai eu l’occasion de déguster d’autres millésimes, dont certains plus anciens, qui ont témoigné de la grande complexité du cru et de ses capacités de garde.
Pour moi, ce vin est un peu l’envers du Montrachet. Quand on déguste un Montrachet, on est tout de suite saisi par sa puissance et son côté majestueux qui signe son rang. Avec le Clos des Perrières, c’est moins impressionnant, plus subtil mais c’est tout aussi noble et ce joli clos, monopole, entouré de pierres mériterait à mon sens le titre de grand cru.

Ma rencontre avec Michel Bardet, petit fils d’Albert Grivault date d’octobre 2006 et, après tout ce temps, il fallait bien que je le vois deux fois en une semaine ! Un plaisir arrive parfois avec la meilleure compagnie : je ne suis pas peu fier d’avoir fait découvrir les vins du domaine Albert Grivault à mon ami restaurateur étoilé à Dijon, Stéphane Derbord qui, cependant, ne manque pas de Meursault illustres à sa carte, laquelle est assurément une des plus belles cartes des vins de la ville.

Les clos monopoles, entourés de pierres, sont assez rares et ils me remplissent toujours d’émotion. Je m’arrête toujours sur la petite route de Puligny à Meursault pour regarder ces murs, cette vigne protégée. C’est à la fois sobre et majestueux.

Il est impossible aussi de ne pas être sensible à l’histoire du jeune Albert Grivault qui a acheté le Clos des Perrières à l’âge de 23 ans en pleine époque du phylloxera. Ce fin dégustateur voyageait entre Meursault et Béziers où il fit fortune en créant une distillerie. Il a représenté la Côte d’Or au jury des vins de l’Exposition Universelle de 1900. Son nom est aussi cité chaque troisième dimanche de novembre à la célèbre vente des Hospices de Beaune depuis qu’il fit don d’une vigne de Meursault Charmes, la cuvée Albert Grivault.

Aujourd’hui, c’est son petit-fils, Michel Bardet, qui dirige le domaine avec sa fille, actuelle gérante. Le domaine s’étend sur un peu plus de 6 ha dont les 94 ares de Clos des Perrières auxquels il faut ajouter du Meursault Perrières 1er Cru, du Meursault, du Bourgogne blanc et du Pommard 1er Cru Clos Blanc.

Notre dégustation :

Nous l’avons faite cette fameuse verticale chez Michel Bardet à Dijon !
Le cellier du XIIe siècle imposait la sérénité : le jour, la nuit, l’ange et le démon, quatre statues aux quatre coins du cellier.
Marielys était là, l’appareil en main, Hubert avait prévu le buffet final, Martial avait bien conscience de vivre et de faire vivre un moment inoubliable.
Nous avons remonté le temps, le verre à la main, le stylo aussi.

2006 : robe transparente et brillante ; nez d’une extrême délicatesse, précis et complexe, aérien et doux ; belle bouche racée aux arômes de fleur de sureau sur fond minéral.
2005 : plus intense, plus riche, plus rond avec des agrumes et des épices.
2004 : la couleur est plus dorée, le nez et la bouche sont classiques avec du beurre fondu et des herbes séchées.
2003 : légèrement miellé, bouche ample, il reste frais avec de la pêche blanche. Beaucoup de présence et de longueur.
2002 : robe plus dorée ; nez complexe et envoûtant avec beaucoup de classe. En bouche, le vin tapisse le palais, très complexe, abricot, agrumes, fruits de la passion, amandes et noisettes grillées en finale. Superbe !
2001 : peut-être encore plus intense avec une profonde minéralité, enveloppant, il a une présence exceptionnelle, « comme une ligne de base continue et quelques notes légères en rebond » dit Marielys. C’est le préféré de Martial.
2000 : éclats dorés, plus délicat, plus fin, un peu moins intense.
1999 : plus riche, moins harmonieux, confiture de fruits exotiques.
1998 : robe or clair ; nez complexe, un peu marqué par le botrytis, très exotique avec une minéralité qui revient en fin de bouche.
1996  : bouteille défectueuse.
1995  : or brillant, dans un style délicat et intense. Beaucoup de classe. Encore très frais, miel de citronnier, pralin grillé. Longueur exceptionnelle, l’un des meilleurs !
1992  : robe très dorée et éclatante, nez de miel chaud. Beaucoup de gras en bouche, entre l’exotique, le grillé et une pointe de truffe. Toujours très classe et complexe. Peut-être le meilleur !
1989  : robe assez claire. Martial ne le reconnaît pas par rapport à une précédente dégustation. Problème de bouteille ?
1988  : robe assez claire, élégant et complexe, assez fin avec une finale grillée en douceur.
1986  : assez classique avec de la vivacité, moins complexe que d’autres, amande, finale un peu sèche.

1985  : encore très frais, presque citronné, bouche élégante, pomme au four, un peu plus fluide mais agréable.
1979 : robe très dorée, nez intense et complexe de pâtisserie au beurre. Très belle maturité, finale de pomme caramélisée très longue.
1973 : or intense ; l’évolution est marquée, arômes de noix et de pomme, très différent dans un style Vin Jaune.
1959 : or ambré. Nez impressionnant d’intensité et de puissance. Extrême. Bouche explosive avec une grande présence, une grande plénitude et une finale de foie gras. Un grand moment !
1956 : étonnant de fraîcheur, il ne fait pas son âge. Ciselé, délicat, aérien.
Quel vin retenir dans cette profusion ?
Le 1992 dans son exceptionnelle maturité nous évoque ce que pourrait être la perfection dans le genre.
Nous avons aussi l’idée que le 2006 dans son épure et sa grande réserve s’ouvrira un jour, avec le temps, à l’égal du précédent.
Ce vin précieux qui va à l’essentiel nous amène à une esthétique du respect de ce patrimoine où chaque pierre et chaque jour apportent leur richesse. Patience…

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