Au-delà des illusions

Vous êtes assez sages maintenant pour ne pas avoir cru à la boutade qui concluait mon dernier billet d’humeur, et vous savez que je préfère continuer à creuser les paradoxes de l’éternel jeu entre la perplexité et les certitudes, dont le vin peut nous permettre de belles métaphores sur la vie dans ce bas monde.

Tenez, par exemple, il y a quelques semaines, j’étais chez un caviste qui a eu la faiblesse de m’acheter quelques bouteilles. J’ai trouvé, en cette époque de crise financière, un homme hilare qui m’expliqua qu’il n’achetait plus rien, sauf des « bons coups », et il me montre une encombrante palette d’Aloxe Corton 1er Cru 2004 qui se dressait à l’entrée de sa boutique. Il était sûr d’avoir fait une belle affaire parce que, m’a-t-il dit, « il y avait du Corton dedans ! ». Je reconnais que je ne suis pas toujours charitable et il se trouvait que j’avais dégusté la semaine précédente le Corton de cette maison et je n’ai pu cacher à ce wine-trader que, me concernant, je n’aurais pas payé ce vin le prix du Bourgogne ! Je n’ai pas eu l’illusion de lui faire réaliser ce que je pense être les siennes (d’illusions) mais je reste avec l’idée qu’il vaut mieux payer un Bourgogne un peu plus cher que la moyenne, mais toujours moins cher qu’un premier cru qui est loin de le valoir en qualité.

Quelques jours plus tard, j’étais invité chez l’un de mes bons amis, un de ceux qui seraient bien capables d’être encore plus gourmand que moi. Il se trouve qu’il a la chance, grâce à son métier, de recevoir parfois de belles bouteilles en cadeau. Il m’a servi un premier cru renommé, qu’un guide gastronomique lui avait envoyé, comme étant l’une de ses plus belles découvertes de l’année. Nous avons fait la même tête après l’avoir dégusté. Mon ami qui est un vrai gourmand, et qui me connaît bien, est parti chercher une autre bouteille…un excellent Riesling !

Je ne sais pas s’il est amateur de vin mais j’ai lu que Warren Buffet avait dit en cette époque de crise financière que « c’est lorsque la marée baisse que l’on aperçoit ceux qui nagent tout nus ». C’est, à mon avis, la même chose avec les grands vins où, du moins, ça pourrait bien l’être. Je connais certaines bouteilles hautement médiatisées et très recherchées, ces fameuses bouteilles qui se vendent de plus en plus et qui, de fait, ne sont jamais ou presque jamais bues ou dégustées. L’opportunité de certaines invitations, et mon éthique du goût quand j’ai la chance d’avoir moi-même ces bouteilles à forte tendance spéculative, me donnent l’occasion d’y goûter. Dans certains cas, malheureusement trop souvent, je comprends que l’on puisse se dire qu’en fonction des cours, il aurait mieux valu vendre la bouteille ! Autrement dit, comme à la bourse, le prix de certaines actions n’a rien à voir avec la réalité économique de la société ; en matière de vins, le prix d’une bouteille n’est pas non plus toujours en rapport avec sa qualité réelle. Mais, de temps en temps, certains peuvent s’en apercevoir et cela peut déclencher quelques crises et paniques. Ou alors, il faut accepter l’idée que, l’imaginaire de l’étiquette aidant, personne n’y voie rien. C’est ce qu’il se passe, en temps normal.

Peut-être faut-il conclure qu’en cette fin d’année, c’est peut-être l’occasion d’ouvrir de grandes étiquettes, car si les cours chutent, cela fera moins mal.

Et, comme tout se renverse, au-delà des désillusions, il y a de vrais moments de plaisir à partager dans la passion du vin !

Martial Jacquey
Passionné de vins
Le 09 décembre 2008